Et que désirez-vous ce soir de Premee Mohamed

Ursula K. Le Guin défend la science-fiction en expliquant que c’est un genre trop souvent ignoré mais utile pour sublimer le monde et les fractures de nos sociétés. J’avoue que je ne suis pas une habituée des textes de ce genre, cela m’intimide trop, je préfère rester dans ma zone de confort : les romans réalistes, contemporains, jeunesse… Mais Premee Mohamed et ses novellas – dieu les couvertures à chaque fois, m’éblouissent – m’intriguaient énormément. Ayant lu beaucoup de chronique concernant cette autrice, je ne pouvais pas passer à côté. Assez court pour une première approche dans la science-fiction adulte.


Première pensée : c’est exigeant. Le texte est court, nous n’avons pas le temps de nous attarder dans les détails et chaque élément est utile. Elle infuse suffisamment pour créer un système logique et cohérent, on y croit. Et suffisamment pour ne pas noyer le lecteur dans des détails. Elle appelle notre imagination et les zones d’ombre se reconstruisent tout de suite. C’est un monde où le futur côtoie un hyper libéralisme et capitalisme à vomir. Ce n’est pas anodin si son personnage principal est une prostituée, cela implique dès le début une culture de la domination. Ici, elle sert surtout la dénonciation du capitalisme qui tue sans se soucier du bien être des gens.

La science-fiction sublime nos plaies les plus profondes – si j’avais des supers pouvoirs, je détruirais le capitalisme pour choisir un système économique beaucoup plus égalitaire. Joyau n’a pas de vrai nom. Pas de nom, pas d’identité. Elle appartient à la maison qui l’a acheté. Et celle-ci, sous couvert de culture d’entreprise, la manipule pour toujours plus de profit. Le livre est court mais tellement puissant. Une évolution comprimée puisque son amie est morte… Elle ressuscite.

Pas d’explication concernant ce miracle de la mort. Ce n’est pas le problème, c’est le déclencheur d’une évolution psychologique. Elle ne comprend pas très bien tous les enjeux, on les ressent avec elle. C’est-à-dire que les puissants, les plus riches, ont le droit de tout, même de tuer. Car la morte est retournée chez les vivants pour se venger. Elle n’a pas disparue naturellement ; un homme l’a tué et personne ne s’est offusqué. Donc elle n’était rien, qu’un outil. Je crois que ce roman résonne et me bouleverse puisque je viens de vivre un peu le même genre de situation. Une grosse entreprise – les lois sont des plus en plus meurtrières pour les employés – se dit dans son bon droit de me virer parce que je ne réponds pas aux attentes. Ils ont oublié de dire qu’ils ne m’ont laissé qu’une semaine pour faire mes preuves, en occultant tous les problèmes d’ordinateur que je me suis coltinée. Le client était roi et ses délais totalement irréalisables, des exigences de perfection.

Alors, quand Joyau est punie, une simple lettre prend un sens symbolique d’une violence spectaculaire. Il suffit de peu pour révéler ce que vivent énormément de personnes. Je me suis trompée, la science-fiction sera un genre que j’apprécierai beaucoup quand j’en aurai lu plusieurs. Premee Mohamed invente, ingénieuse, un monde dans lequel on se perd et on se retrouve. Pas pour le meilleur des mondes mais pour prendre conscience des oppressions. Elle joue sur les suggestions sans jamais ordonner mais en guidant le lecteur. On ne se sent pas perdue, on trouve des échos de notre monde moderne alors que tout n’est que désolation dans ce roman.


Je me suis perdue, c’est un roman qui exige une certaine concentration. Malgré son aspect très court il n’en est pas moins très dense et une seule petite pensées en dehors du livre peut nous amener à perdre le fil. Néanmoins, j’aime à me laisser guider, donc ce n’était pas un trop gros problème. J’ai eu l’impression que le sens premier du texte était sensiblement symbolique et métaphysique. Très belle découverte et je le relirai certainement dans une dizaine d’année car je sens qu’il y a encore une obscurité que je n’ai pas dévoilé.

Categories: Littérature
Celestial

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3 thoughts on “Et que désirez-vous ce soir de Premee Mohamed”

  1. Je ne l’ai pas encore lu, mais je suis une femme des nouvelles de l’autrice et je ne doute pas d’être aussi bouleversée par ce texte que par les autres. En tout cas tu sais donner envie et je suis ravie que tu lui aies donné sa chance pour une première.

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