« La Zone d’intérêt » et la banalité du mal

Il y avait dans la salle un silence de recueillement sur un écran noir. Tout, le noir envahissait tout. Puis la musique, soudain, perçait les tympans, un son ignoble appelant la peur, un effroi d’outre-tombe. Je ne me doutais de rien, simplement curieuse de la représentation du génocide. Mais on ne voit rien. Sauf une ligne, un mur étendu sur plusieurs kilomètres, de béton gris, séparant le premier du dernier plan. Parfois, un corps en bonne santé, blond, jeune, vient s’y placer. Un tableau digne des impressionnistes. C’est qu’on pourrait s’y mirer, se regarder et fasciné par la beauté du jardin s’y noyer. Rien n’indique sauf les sons et le perpétuel gémissement de la machine de la mort tournant en continue, vingt quatre heures sur vingt quatre. Ce long vrombissement à vomir, à périr.

La Zone d’intérêt. Intérêt de ne jamais oublier. Intérêt que cet acte pendant des années, cette construction du génocide jusqu’au point de la rationaliser, de l’industrialiser. Le but, simplement. Et une scène parmi les silences, les mouvements et les lignes. On s’y croirait presque, dans le cocon si certains détails ne survenaient et nous traumatisant. Trois hommes sont assis dans le salon, deux commerciaux et le général. Et ils parlent, présentent leur produit. Le sens se défile car, spectateur, nous nous berçons de la beauté des images, et, intrigué, que dis-je, captifs, nous lisons les sous titres. Alors l’horreur. Grande et incroyable horreur. Un malaise sorti des entrailles de l’inconscient. L’autre dit que la machine fonctionne tout le temps, une petite rotation, ouvrir le four… pour brûler les cadavres après la chambre à gaz. 

Et le film ne nous laisse aucun répit. Toujours aux aguets, on se laisserait happer par les fleurs grimpantes, la quiétude de la maison. Le marivaudage et les disputes de couple. Sandra Huller campe une femme aryenne digne des plus atroces. Quel jeu époustouflant (NB : voir L’Anatomie d’une chute) ! Les enfants s’amusent dans la piscine construite près de la nature, partent en randonné accompagné de leur père. Mais aucune émotion, nulle empathie ne se donne ni s’offre. Heureusement. La famille parfaite se baigne les mains dans la shoah. Ils remplissent leur devoir sans critique, sans prise de distance, juste le parfait employé, la banalité du mal (NB : lire Hannah Arendt). Et, toujours, les cris. Et, parfois, le four gémissant son feu, non, vif et puissant, des coulées de cendre. 

C’est une famille normale comme tant d’autres, qui dira ensuite qu’ils n’ont rien fait, que c’était l’époque. Qu’ils ont suivi les ordres et qu’ils ne pouvaient rien faire. C’est une famille qui se déresponsabilisera, qui aura salué le dictateur durant toute la durée de la guerre et qui cherchera à fuir. Je rajoute mais on connaît. L’absence de justice, les fuites. Une présentation a été interdite car le film devait être projeté à Paris suivi d’une réflexion sur le sujet. Mais on ne parle pas de la Palestine alors que l’histoire se répète, inlassablement. Peut-etre était-ce là un coup de maître que de présenter l’autre côté du miroir sans étincelle de sentiment. Tout y est stylisé, à la saturation, l’aveuglement. Pas de sentiment mais de la composition pour révéler l’horreur en dessous de nos fenêtres. Et nous confronter à nos monstruosités. Qu’aurions-nous fait ? La plupart aurait continué à vivre leur routine sans se préoccuper du massacre à 800 mètres de chez eux. 

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