Personne de Gwenaelle Aubry

personne gwenaelle aubry éditions folio

Livre assez court pour switcher entre le tome 4 des carnets de l’apothicaire. Personne me semblait un bon choix car j’aime particulièrement Gwenaelle Aubry depuis que j’ai lu son premier roman lors de mon adolescence. Je m’en souviens encore. J’aime son style, sa plume si poétique, sa manière de dire les choses et j’avais en ligne de mire, depuis quelques années, ce titre.

J’oscille entre surprise et exaspération. Un énième texte qui parle de la transmission, de l’héritage des parents, des pleurs, de la mort du père. Et, quand ce n’est pas le père, c’est la mère (rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan). Généralement, j’aime lire ce genre d’hommage aux défunts, j’ai moi-même voulu en écrire aussi. Mais, à quoi ça sert ? Que peut-elle ajouter, apporter aux lecteurs ?

Je déplore ce livre non parce qu’il n’est pas bien écrit, au contraire, mais parce que j’ai l’impression que cette auto-fiction n’est pas destinée à de milliers de lecteurs. Le manuscrit aurait pu rester loin des regards que ça n’aurait rien changer à notre vie. Pourquoi écrit-on sur nos parents ? Pour chercher d’où l’on vient.

Quand j’ai appris que masque en latin se dit persona, j’ai aussitôt pensé à lui. Un instant j’ai cru comprendre son anxiété des codes, de l’ordre, des hiérarchies. S’il s’escrimait ainsi à jouer les grandes personnes, c’est peut-être que sous son masque, il n’y avait personne : et ce « personne »-là, ce n’était pas l’anonymat salvateur et rusé d’Ulysse mais un vide, une béance. S’il avait tombé le masque, alors on se serait peut-être aperçu que le roi est nu. J’ai vu mon père ainsi, dénudé, détrôné, tombé, mon père devenu rien et rien que rien, mon père vidé de l’abcès d’être quelqu’un.

L’autrice est une bourgeoise, née de parents bourgeois. Dans Parasites de Nicolas Framont, la phrase retentit encore : on ne devient pas bourgeois, on nait bourgeois. La plus haute classe sociales, qui accapare toutes les richesses et ne les repartagent pas. Qui, basée sur l’héritage et tous les capitaux (économique, culturels etc…) reproduisent l’entre soi. Il s’agit bien de cela, un entre soi entre une fille et son père chez qui elle tente d’expliquer la folie. Mais nulle mention de soin, sauf quand elle mentionne ses nombreuses hospitalisations. Nulle mentions de maladies psychiatriques. Le texte reste résolument validiste puisqu’elle se complait dans la litanie de sa poésie. Il faut produire du beau afin de ne pas se mélanger à la populace. Rien n’est simple donc, mais tout est finement ouvragé. Trop, même. C’est chiant, je ne vais pas mâcher mes mots.

Je l’ai abandonné. J’en avais marre. Peut-être est-ce à cause de ce que j’ai écris la veille. J’ai bien pris conscience que je ne pouvais pas supporter les textes bourgeois, sans remise en question. Je m’éloigne du texte mais je n’ai senti que ça, de longues descriptions de rien, juste de la vacuité et une envie de se regarder écrire. Ce n’est pas un défaut anodin, il est partagé entre plusieurs auteurs et autrices médiatisés. Je la distingue du fait qu’on sent que les phrases sont très maitrisées, très ouvragées. D’ailleurs, j’ai remarqué que ses phrases à rallonges pouvaient faire une ou deux pages, c’est long, fastidieux à lire, étouffant. Pas de relief donc. Beaucoup d’entre soi, beaucoup de code bourgeois.

On ne perd pas un père, encore moins un père qui était, ou qui s’était, lui-même perdu. C’est de son vivant, peut-être, qu’on l’avait perdu, qu’on ne savait plus qui il était, où il était. A présent qu’il est mort, on réunit ce qu’il a laissé, miettes et cailloux semés dans les forêts de son angoisse, trésors et épaves, on construit le vide, on sculpte l’absence, on cherche une forme pour ce qui, en nous, demeure de lui, et qui a toujours été la tentation de l’informe, la menace du chaos, on cherche des mots pour ce qui, toujours, a été en nous la part secrète, la part muette, un corps de mots pour celui qui n’a pas de tombe, un château de présence pour protéger son absence. 

J’ai décidé d’arrêté lorsqu’elle a commencé à écrire un chapitre sur les SDF sans véritable dénonciation. Elle réifiait ces pauvres gens comme outil à son propos pour se morfondre du destin de son père. Il m’en faut pour me mettre en colère dans une lecture. Je réussis à garder mon calme généralement mais ce ne fut pas le cas ici. Je ne misais pas beaucoup d’espoir mais je me disais que ça se lisait tranquillement. Il a été le déclencheur de ma prise de conscience de mes gouts plus prononcés pour les propos de gauche et de bienveillance, ceux qui visent la communauté et une société meilleure, ceux qui n’hésitent pas à bousculer. Là, c’est juste un torchon d’égoïsme, à la manière de nombreux écrivants des siècles derniers.

J’ai perdu du temps, je m’en veux d’avoir essayé de tenir jusqu’au bout. Il était court mais la vitesse de lecture, puisque le texte est sans relief, est trop longue. Ce n’était pas du plaisir qui coulait dans mes veines lors de ma lecture, juste une exaspération qui grandissait de plus en plus à chaque page qui se tournaient.  

Categories: Littérature
Celestial

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2 thoughts on “Personne de Gwenaelle Aubry”

  1. Merci à toi aussi pour ce retour très personnel où on ressent et comprend, voire partage, ton agacement face à un texte mille fois vu qui se regarde un peu trop le nombril. Je préfère l’éviter également. Par contre, je serais curieuse de savoir quel texte de l’autrice t’a plu adolescente ?

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