Le diable au corps de Raymond Radiguet

Ici comme ailleurs, critique du Diable au corps de Raymond Radiguet

Une couverture brillante et rouge, parfaite pour cette période de noël. Un classique de la littérature, plutôt court. J’ai foncé. J’étais curieuse. Mal m’en a fait, vraiment. Pourtant, les critiques étaient dithyrambiques, on l’étudie à l’école. Pour la passion mise en récit… Le diable au corps de Raymond Radiguet narre sur de longues pages, une misogynie crasse, si profonde et si haineuse qu’elle en devient ridicule. Il dit aimer Marthe mais il semble surtout qu’il la déteste parce qu’elle est une femme. C’est connu, d’ailleurs, les femmes sont vénales, menteuses, fourbes. Il ne manque pas de nous le répéter à chaque page.

J’ai de plus en plus de mal à lire de la littérature classique. J’ai beaucoup réfléchi sur cette catégorie et je déplore de plus en plus cette sensation de ne pas être à ma place lorsque je lis. Le livre hurle clairement qu’il est écrit pour des hommes par un homme. Entre eux, le boy’s club hurle de toute sa gouille orgueilleuse. Je ne supporte plus la non-inclusivité, le racisme et la haine. Or, dans les classiques, écrite surtout par les hommes, il y beaucoup de choses que je déteste. Elle est loin cette période où je ne jurais que par les classiques. Me too est passé par là. Me voilà désemparée lorsque je lis ce genre. Alors j’ai décidé d’en rire et de ne rien masquer, de dire et de critiquer, de sortir mon regard pour devenir froide et intègre. Bon, celui-là n’a rien de bien. J’ai beau y penser, mais vraiment… non. Du mauvais dans tout.


La passion d’un jeune homme de 15 ans dans l’entre-deux guerres

A quinze ans, on a l’âge des premiers amours, un premier émoi. Un sentiment dans le cœur pousse comme une plante et l’intérêt se cristallise hors de la maison. Si le narrateur n’était pas insupportable, j’aurais peut-être aimé suivre avec lui l’évolution de ses descriptions concernant cette émotion dont on n’arrivera jamais à définir complètement les effets. J’ai dépassé, moi aussi, l’adolescence mais je souviens avoir adoré, vraiment avoir éprouvé un énorme coup de foudre pour Confession d’un enfant du siècle de Musset. J’en ai surligné et souligné toutes pages, j’ai versé des larmes, sans me rendre compte qu’il était vraiment douteux. On va me reprocher que c’était une autre époque, certes, mais, je suis vivante et je lis. J’adore lire et j’aimerai me sentir un être humain, mieux, intégrée dans ma lecture. L’amour à quinze ans pour un adolescent, surtout celui-là, rime surtout avec emprise.

Car, c’est bien connu, la femme est la propriété de l’homme, elle se doit de bien se vêtir, de séduire mais pas trop fort, d’adopter un comportement approprié et d’être sage comme une plante verte. Raymond Radiguet fait mieux puisqu’il choisit de conter son roman à la première personne du singulier, toute l’histoire se déroule selon l’inconscient et le jugement d’un adolescent, vaniteux et dominant. Il n’est pas question d’amour mais d’emprise et de domination masculine. Evidemment, l’époque se prête bien pour ce trope purement masculin mais je suis une femme et je ne me suis pas sentie inclue dans la lecture, au contraire. Soit je me suis sentie rejetée. Soit je me suis sentie flouée. Dans les deux cas, l’expérience de lecture y a été amoindrie. Elle a été un calvaire mais j’ai bien ris.


Où la misogynie devient ridicule

On ne reçoit plus le Diable au corps comme le jour de sa sortie, il y a plus d’un siècle. On ne peut plus le lire de manière sérieuse. J’ai souligné toutes les phrases qui semblaient problématiques et j’en ai déduit que les œuvres que l’on enseignait vieillissaient. Lorsque l’on dit qu’une œuvre d’art est intemporelle, il n’en existe pas des masses et toutes œuvres finit par vieillir et représente une époque. Celle-ci en fait partie. On ne peut décemment ignorer toute la violence sexuelle et les nombreux préjugés – c’est un euphémisme – sur les femmes. Pourquoi faire lire ça à des collégiens qui pourraient s’identifier – et je ne l’espère pas – au personnage principal et considérer cela normal d’assimiler la femme à une menteuse. Il y a déjà assez de masculiniste sur les réseaux sociaux pour engranger une nouvelle génération de misogynes. Les femmes ne le diront jamais assez : lorsqu’un homme a peur d’une femme, celle-ci risque moins de le tuer, l’inverse n’est pas vrai.

Je me suis surprise à le lire jusqu’au bout. Ma fascination était telle que je souhaitais analyser toutes les phrases sexistes et porteuses de fausses croyances sur les femmes. Il y en a pléthores. Marthe est soit vénale, soit menteuse, soit faible, soit incapable de prendre des décisions. Elle est toute dévouée à son amant et lui est totalement soumise. Tel était le gros fantasme de l’époque, qui perdure aujourd’hui et cause des féminicides. Dans le même genre, j’avais lu Le gardien du phare qui, lui, se termine sur un féminicide que l’auteur dira passionnel.


Finalement, c’est toujours la même histoire. Les personnages principales féminins sont prisonniers du regard de l’homme, le vrai héro d’une histoire d’amour. Lui, brille. Lui, on l’excuse. Mais la femme, on l’accuse.

Categories: Littérature
Celestial

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8 thoughts on “Le diable au corps de Raymond Radiguet”

  1. Je t’admire d’avoir réussi à aller au bout de ce calvaire, je crois que je n’aurais pas eu ton courage ni ton recul pour en rire è_é

    1. Je me suis surprise moi-même, normalement, je l’aurai jeté mais je me posais quand même la question de pourquoi c’est encore étudier de nos jours. Pas édité mais étudié par des enfants de 14 ans.

    1. Je comprends totalement ! J’en avais eu un autre mais vraiment j’ai pas réussi à le terminer : celui de Louis Callaferte. Ok c’est transcendant ce qu’il écrit mais alors… la femme dans ses livres et toutes ses réflexions. A vomir. J’espère que dans 100 ans les oeuvres seront totalement inclusives xD

  2. Ouah quel courage d’être aller au bout de ta lecture !
    Je crois qu’aujourd’hui les classiques permettent de montrer à une autre génération la place accordée aux femmes à une époque qu’on ne souhaite pas voir revenir. C’est beau à étudier si c’est fait avec un cadre mais au-delà c’est compliqué de les aborder avec notre regard moderne… Je suis d’autant plus admirative de ta volonté d’aller au bout de cette lecture qui n’a visiblement pas été facile.

    1. Son seul mérite c’est d’être court. On évite, cependant pas le trope de la mort de l’amante. Je suis tout à fait d’accord avec toi, les étudier pour comprendre comment le regard sur la femme et l’amour a changé me semble nécessaire mais l’étudier pour le glorifier me rend mal à l’aise. Toutes les oeuvres étudiées sont écrites par des hommes pour des hommes, ce qui est paradoxale quand on voit que celles qui lisent le plus sont des femmes.

  3. Bon sang, je l’ai lu à l’adolescence (c’est-à-dire il y a au moins 40 ans, peut-être 42 ou 43) et je dois dire que c’était une autre époque où la majorité des gens ne s’offusquait pas, depuis j’ai découvert des choses (avérées) sur certains auteurs et comme tu dis « me-too » est passé par là, il était temps !, et grand bien me fasse puisque j’ai oublié ce dont parlait ce roman !

    1. Finalement c’est une histoire banale à l’époque, un trope usé de chez usé mais qui marche si bien dans la psyché des hommes dominants. Puis, ne surtout pas oublié la mort de la femme à la fin pour gagner en drame.

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