Fille de joie, Kiyoko Murata ; prostitution au Japon au début du XXe siècle

Japon, début du siècle dernier, dans les années 1900. La pauvreté conduit aux vices des grands marchands, et c’est ainsi qu’une jeune fille de 15 ans se retrouve dans le bureau d’un proxénète. L’atmosphère est lourde, si lourde et si rapide qu’Ichi n’a pas le temps de comprendre ce qui lui arrive. Deux doigts, tels des tentacules, s’enfouissent dans son intimé. Une violence, mais pas la seule. Ichi survivra désormais en tant que prostituée, achetée par un tenancier dans le quartier des plaisirs d’une ville japonaise, enfermée et dévouée à sa maison jusqu’à payer sa dette.

La condition des femmes au Japon au début du XXe siècle

Kiyoko Murata, Fille de joie
Kiyoko Murata, Fille de joie

Rien n’est caché, tout est expliqué. Elle pose le décor, prend son temps, n’omet rien. Elle témoigne d’une époque où les femmes n’avaient pas le droit à une vie individuelle, étant réduites à une valeur commerciale grâce à leur corps. La prostitution au Japon au début du XXe siècle était une pratique acceptée, et les femmes n’avaient pas le droit de désobéir, n’avaient d’autre choix que de subir. Elles obéissaient à leur père, qui, souvent, ajoutait des années à leur esclavage sexuel à leur insu. À l’époque, on ne parlait pas de trafic d’êtres humains, c’était considéré comme normal. Les gens étaient pauvres, avaient des bouches à nourrir, parfois trop. On faisait avec les corps à disposition. Une fille valait moins qu’un garçon, autant la rendre utile. Elle devenait alors la sauveuse, celle qui sortait la famille de la pauvreté, le sacrifice nécessaire pour survivre et obtenir un peu de vivres pour l’hiver. Dans la société traditionnelle japonaise, l’enfant appartenait à ses parents, sans existence propre, étant une possession.

L’autrice évite le lyrisme larmoyant, préférant un ton clinique et distant pour décrire la prostitution au Japon au début du XXe siècle. Elle reste à distance de son récit tout en exposant les absurdités et les horreurs d’une vie simple confrontée à la domination. On ne pleure pas, car dans l’obscurité, elle offre une échappatoire à son personnage principal, une ressource pour sortir du marasme et des traumatismes. Ichi écrit son journal – une poésie adolescente, recelant des mots touchants pour décrire un quotidien horrifique. Cela l’aide à réfléchir, constater, s’entourer, ressentir. Dans la maison close, bien que les femmes soient hiérarchisées selon l’argent qu’elles rapportent, une douceur subsiste, celle de la sororité.

Une immersion documentaire dans la prostitution au Japon

Pas besoin de lire un essai sur la prostitution au Japon au XXe siècle. Le roman peut être comparé à un documentaire tant il abonde en détails et en explications sur la prostitution au Japon au début du XXe siècle. C’est une mine de richesse sur la vie d’une jeune fille vendue dans une maison des quartiers des plaisirs. Ces détails éveillent l’empathie. L’autrice est généreuse : elle donne un contexte, s’intéresse à tous ses personnages sans jamais les condamner, restant toujours proche de la psychologie réaliste d’Ichi et des autres femmes, les « oirans », condamnées à être des prostituées plutôt que des mères. Pas besoin d’héroïsme grandiloquent, chaque jour apporte son lot de traumatismes et de maltraitances. C’est l’héroïsme du quotidien : survivre dans l’aliénation, sans lien avec le monde ni avec soi-même.

La dénonciation de la condition des femmes dans la prostitution au Japon au début du XXe siècle est subtile mais terrible. Tout autour règnent les hommes, souvent invisibles mais dominant tout. Les femmes, elles, restent à leur place, apprenant le sexe pour remplir les caisses. Elles sont exploitées comme ces ouvriers qui font grève. Ils apportent un souffle d’air qui vivifie les consciences. Les femmes aussi approfondissent leur réflexion sur leur condition. Elles s’appartiennent elles-mêmes et deviennent des individus à part entière en se révoltant, tout en calme et en sagesse. Quelques noms gravés sur une feuille collée à la porte de la salle à manger : enfin, elles font grève. Ce n’est pas une affaire masculine, mais une lutte qui concerne tous les prolétaires, plus encore, toutes les exploitées et esclaves.

Un espoir inespéré pour les femmes exploitées

Sous ses dehors, la fiction énonce des réalités effroyables auxquelles l’autrice ajoute une lueur d’espoir, une clarté inespérée pour Ichi et ses semblables. On respire en refermant la dernière page, admirant le talent de l’écrivaine pour raconter une vie avec justesse et équilibre.

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10 thoughts on “Fille de joie, Kiyoko Murata ; prostitution au Japon au début du XXe siècle”

  1. Je n’avais pas repéré ce roman et pourtant je suis d’assez près les parutions japonaises, étant assez friande de cette littérature. Et je n’avais rien lu non plus sur le sujet traité ici donc merci pour cette découverte !

    1. C’est une autrice qui n’est pas assez connue et c’est dommage parce qu’elle est très renommée au Japon. Ce n’est pas la première édition de ce roman d’ailleurs ! J’espère que tu pourras le découvrir !

  2. Merci pour cette découverte que je note. Je n’ai jamais rien lu sur cet aspect historique du Japon qui ne manque pas de révolter. C’est un sacré exploit de la part de l’autrice de ne pas être tombée dans le pathos vu la dureté du sujet ! Quant au fait que le roman soit très documenté, c’est un plus indéniable.

    1. J’ai beaucoup apprécié cette justesse de ton justement, elle ne tombe pas dans le méldramatique, au contraire, ça en devient si troublant et intense paradoxalement

    1. Ça pourrait clairement entrer dans ce cadre en effet ! En plus, le roman est très documenté, très detaillé, c’est une mine de richesse sur la condition ouvrière.

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