
Flore Vesco enchante à chaque roman, et De Délicieux Enfants ne fait pas exception. L’autrice, avec son style incomparable, s’empare des contes et les réinvente avec audace. Ici, c’est le Petit Poucet qu’elle réécrit avec une finesse incroyable. Ces histoires, si proches de l’enfance, éveillent des souvenirs : elles dictent une initiation à soi, révèlent des réponses à des questionnements intimes, et amorcent ce rituel de l’endormissement, au chaud sous la couverture.
Allongée dans mon lit, de tout mon long, tel un chat heureux, j’ai savouré chaque page de De Délicieux Enfants. Flore Vesco y mêle poésie et brutalisme, rêve et sortilèges. La couverture, déjà, inspire : il s’agit donc d’une fille… n’est-ce pas ? Mais avec Vesco, rien n’est jamais aussi simple, et c’est là tout l’enchantement.
Je regarde les miens. Pour mes trois paires, point n’est besoin de me tracasser. C’est une armée : douze bras et jambes costauds, une seule volonté. Toujours ensemble pour manger, dormir, se battre ou inventer quelque bêtise. Leur nombre font leur force.
Un renversement du genre
Les narrateurs s’alternent tous les chapitres, la mère, le père, les six enfants, Tipou. Structuré pour être lisible, il y a tout de même quelques petites obscurités. Je me suis posé la question plusieurs fois en début de lecture : décrit-elle vraiment une fille ? L’autrice s’amuse, c’est évident, à détourner le genre. Fille ou garçon, qu’importe ! Elle explique aux lecteurs que le genre n’est pas important, qu’une fille vaut aussi bien qu’un garçon, qu’on les aime pareillement. D’ailleurs, dans cette maison au fin fond de la forêt, les enfants ne peuvent encore comprendre le monde. Elles sont protégées et aimées bien qu’elles subissent le froid et la famine. Le père décrit ses filles comme les prunelles de ses yeux tandis que la mère veille, amoureusement, sur sa sororité. Elle emploie des surnoms qui trompent l’esprit, tant mieux ! Homme ou femme c’est égal, les deux sont capables des mêmes choses : chasser, entretenir la maison, découvrir le monde autour du hameau.
Le mâle crée inévitablement la discorde
Mais viennent, un hiver rude, sept petits garçons, jumeaux des sept filles. Ils sont perdus, ont été abandonné par leur parent. Le dernier, le Petit Poucet, regarde du haut des escaliers, accompagné de Tipou, à eux deux, ils forment une paire que l’avarice et la domination masculine pourrait bien séparer. Car les garçons veulent commander. Ils craignent la figure paternelle, bientôt, ils n’en auront que faire. Ils s’en moquent même ! Et la mère, bientôt, s’écroulera dans son lit, muette. Et les filles, bientôt, pâtiront de l’amour que décrivent les ainés des hommes. Dix-sept, encore dans l’enfance mais se désirant goulument dans l’âge adulte. Ils murmurent des secrets d’eux seuls connus aux jeunes filles dont l’innocence et la ferveur embellissent le teint. Ce n’est pas assez disent-ils ! L’un d’eux osera même rouspéter du comportement de sa sublime ogresse, le cadeau qu’il lui a offert n’est pas précieux. Tipou observe, l’air inquiet car la petite aime ses sœurs, plus que tout. Et le père meurt petit à petit d’avoir logé en son giron le mal.
Petite de corps, grande d’esprit
Tipou, la dernière, la plus qu’aimé, la plus que curieuse, Tipou partie en quête d’un remède pour sauver sa famille. Accompagnée de ce petit d’homme dont elle ne sait que faire et qu’elle apprécie semble-t-il, jusqu’à la chaumière au fond des ténèbres. On parle de sorcière tapie dans une maisonnette, dont les enfants ne ressortent jamais, dévorés par elle. Il n’est jamais question d’homme mauvais dans ces contes là, mais d’une féminité terrifiante. Or, elle révèle plus qu’elle ne punit. Elle teste plus qu’elle ne sanctionne. Elle semble colérique mais pour le bien de celle que l’on oublie. L’enfance grandit, Tipou se métamorphose. Le conte de Perrault a fauté, il a essuyé la bonne ligne. Celle qui croit sous le sein de toute nos jeunes filles. Celle qui leur permettait de manger tout leur saoul ! Celle qui combattait l’injustice dû à une absurdité. Un garçon n’est pas meilleur qu’une fille. On se persuadera qu’ils sont pires.
L’émancipation par la dévoration
Il faut de la grandeur et des bottes magiques pour atteindre le sommet. Celles-ci n’appartiennent qu’à celles et ceux qui le mérite, qui ont l’envie au ventre et le désir dans le sang. A celles et ceux qui ont le cœur battant de principes et curiosités, les yeux brillant de la découverte non encore élucidée. Tipou est de celle-là, qui se battra jusqu’à la fin. On s’attache à ce petit bout. Figure poétique, elle est le monde du conte, celle qui résoudra et prouvera qu’une fille peut tout.
Le discours de maman se terminait par de nombreuses mises en garde. D’après elle, une jeune fille devrait toujours se méfier des hommes. Au début, nous n’y avions pas cru. Sans doute, cela ne s’appliquait pas aux nôtres, qui rentrent le cou dès que quelqu’un élève la voix. Maman soutient que les hommes sont dangereux. Espérons qu’elle dit vrai ! Car nous n’aimons rien de mieux que les monstres, qui longtemps ont enchanté nos songes. Nous imaginions que des créatures des ténèbres nous emportaient entre leurs grandes ailes noires, ou que des satyres aux jolies cornes nous ensorcelaient d’un air de flûte.
A force de les réifier, elles perdent leur confiance et se flétrissent. Aux vieilles sorcières de leur dévoiler la voie. En donnant ce roman à mon futur enfant, je sais qu’il ou elle apprendra, qu’il ou elle prendra de la force pour survivre face aux injonctions parfois injustes et inutiles. S’il est homme, il se questionnera mieux sur le rapport de domination. Si elle est femme, elle respirera la volonté et la croyance que rien ne l’arrêtera. Flore Vesco rée
Il est dans ma wish list et ton avis le rend indispensable à lire ! De nouveau, l’autrice semble frapper fort, juste et avec une belle intelligence que ta fine analyse met parfaitement en exergue.
Ca me touche beaucoup si mon avis compté dans ton choix de le lire ! J’ai découvert Flore Vesco ccette année et je pense la relire en 2025. Ses romans me semblent indispensables dans une bibliothèque !
Je suis fan des contes en tout genre, revisités, réinventés, réadaptés… Je ne connaissais pas du tout cette autrice mais elle semble faite pour moi ! Merci pour cette découverte.
Je suis comme toi ! J’adore les contes, j’en aurai bien fais mon mémoire si j’étais restée en Master 2 ! Je les trouve d’une richesse et vraiment j’admire le talent de Flore Vesco pour s’emparer de tous les symboles et de toute la narration et de les retransformer en perdre une goutte.