The wilderness of girls de Madeline Franklin

Dans la veine du mouvement weird women writting weirds books, ce roman est un petit bijou de fantastique moderne qui sème le doute sur ce qu’est la réalité et celle que l’on s’invente pour se protéger. Depuis l’annonce sur Instagram des nouvelles collections Elegy par Gallimard, j’ai voulu lire ce premier titre. Tout indiquait qu’il allait être à mon gout mais j’étais loin d’imaginer que The Wilderness of Girls était à ce point remarquable.

Mais le brouillard se dissipe rapidement et se scinde en nappes, comme pour créer un chemin entre Rhi et les filles sauvages. Il est de plus en plus clair que ce ne sont pas des promeneuses égarées, mais bien des sauvageonnes hostiles au corps maculé de boue et à peine couvert de quelques fourrures d’animaux. Leur chevelure, tressée en nattes grossières, est parsemée de brindilles et de plumes – en guise de camouflage, de couronne ou d’auréole.


The wilderness of girls, Madeline Claire Franklin, Elegy,

Je n’ai pas arrêté de penser au roman de Tiffany McDaniel, Du côté sauvage, qui recèle également, cette part d’étrangeté et d’obscurité, beaucoup plus adulte, beaucoup plus insoutenable aussi. Mais, dans l’idée, c’est exactement la même chose, le même thème. Les femmes sont toujours dénigrées parce que femme. Elles valent moins qu’un homme et doivent souffrir, endurer, toute leur vie. Même niveau de militantisme et de dénonciation du patriarcat, puisque les deux autrices donnent une voix à celles qui n’en ont pas. Ce qui est similaire, c’est cette manière de transcrire la protection et le stress post traumatique. Encore hier – il y une dizaine d’année – on ignorait totalement cet handicap né des agissements des hommes. Pour survivre, on s’invente des histoires. Pour survivre aux souvenirs jaillissant à l’improviste.

La force de Madeline repose sur le rythme et la sincérité de ses personnages. En décidant d’exploiter la sororité, en écrivant un récit sur cinq jeunes filles en prise avec des vies terribles, d’en faire quatre – cinq – filles sauvages, éloignées des diktats de la société patriarcale et de ses exigences, l’autrice transcende le loisir pour proposer une catharsis. Bien sûr, le roman répond aux codes du genre Young Adult avec le suspense et le questionnement inhérent à l’intrigue. Mais l’imbrication de ces sens différents, ces lectures multiples rendent le roman admirable. Il s’agit clairement du mythe du bon sauvage qui est repris, mais radicalement différent car elle y ajoute la croyance qu’il faut dresser les filles pour mieux les dominer. Me too est passé et ça se sent, ça fait du bien. Donner ce genre de récit aux adolescentes c’est leur dire qu’on les croira toujours, qu’elles ne sont plus seules et que beaucoup se réveille du déni.

Elle a l’impression d’être un sol desséché qui s’imprègne peu à peu de pluie. Elle les enlace à son tour, elle se fond en elles, elle essaie de devenir l’une d’elles. Pourtant, elle est différente. Elle n’est ni sauvage ni féroce. Elle ignore tout de la vie en meute. Et puis, Rhi n’est pas une princesse. Rhi n’a pas de destin. Elle n’est rien qu’une fille qui essaie de faire comme elle peut, une actrice de seconde zone par rapport à l’intrigue principale et à ces quatre héroïnes

Les images percutent, tantôt horrifiques, tantôt organiques, des images teintées d’émotions les plus intimes. Je suis touchée par les filles trouvées, qui ont toujours vécues dans la nature, ne connaissent rien d’autre, comme si elles vivaient dans un autre monde. Alors, on doute. On sait que nous sommes dans une fiction. Il ne serait pas interdit d’utiliser notre pouvoir d’imagination et d’adhérer totalement à ce que, dans ce système, le monde réel et le monde merveilleux cohabitent. C’est plus complexe d’où le genre fantastique qui vient s’immiscer lentement, à l’image de la réalité totalement détruite lorsque les filles sont trouvées.

Je suis émerveillée à l’idée de voir que la littérature Young Adult, au-delà de certaines modes, se renseigne et se montre très militante sur certains points. D’après moi, elle a compris beaucoup plus de choses. La manière dont on manipule et construit un récit, le pouvoir de l’identification afin de devenirs ces filles au cours de la lecture.


Le beau-père est un prédateur, mais leur mère le traite en seigneur. Pire, en roi. Comme s’il avait tous les droits. Comme si ce n’était pas lui le problème.

C’est le roman que j’aurai aimé avoir entre les mains lorsque j’étais jeune et que je cherchais moi-même des questions sur mes traumatismes. Pourquoi me sentais-je si honteuse ? Pourquoi avais-je peur des hommes ? Est-ce que, ce que j’ai vécu étaient réelles ? Mais, lorsque je lisais Twilight, elle normalisait les relations toxiques, elle ne les dénonçait pas. Tout était donc normal et je rêvais d’un Edward sensé me protéger de moi-même. Pas d’indépendance, pas d’insurrection, juste une femme traditionnelle aimant être aimée. Je suis donc extrêmement heureuse de voir que la littérature de jeunesse s’empare de ce sujet au fort enjeu politique afin de donner toutes les armes de la déculpabilisation aux jeunes lectrices. Ce roman soulage en n’accusant jamais la victime mais en replaçant les choses dans l’ordre : l’homme n’a aucun droit sur la femme. Ce livre me reste encore, essentiellement pour tout sa richesse symbolique et archétypale. C’est un nouveau pan de la littérature que j’ai manqué, qui m’a manqué.

Categories: Littérature
Celestial

Written by:Celestial All posts by the author

2 thoughts on “The wilderness of girls de Madeline Franklin”

Leave a reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *